THAÏLANDE – Expatriés, retraités et immigrants.
Une nouvelle chronique de Patrick Chesneau
» Nous sommes avant tout des .. invités en Thaïlande « . La phrase est lâchée. Elle revient en permanence dans des centaines de posts échangés sur les réseaux dits sociaux.
Invité… Le mot peut surprendre. Est-il exact ? Adéquat ?
A mettre en parallèle avec un intitulé très officiel fourni par les services de l’Immigration:
» Terms and Conditions for Permit of temporary stay in the Kingdom « .
Placé en entête de tous les formulaires distribués aux étrangers. Le mot à souligner est temporary ( temporaire ). Y compris pour les visas long term ( séjour longue durée ).
Déduction simultanée : expatriés, retraités et résidents prolongés ne peuvent être, au pied de la lettre, considérés comme des…invités… en Thaïlande. L’autorisation accordée est d’ailleurs si peu permanente qu’elle ne garantit aucune longévité. Sauf cas particuliers genre Visa Elite. Et encore. Et à quel coût ?
Le terme » invité » ressemble bien à un abus de langage. La sémantique, il est vrai, est régulièrement pourvoyeuse d’illusions pouvant déboucher à terme sur de cruelles déconvenues.
A chacun son expérience.
Qui a jamais reçu un carton d’invitation en préalable à son arrivée à la frontière ? Le plus souvent, Suvarnabhumi Airport.
Qui a répondu à la pressante sollicitation des autorités ?
Qui, en préalable à sa venue, a été appelé et convié ?
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, la réalité est que chaque » invité » s’auto-invite de sa pleine initiative. Pour ménager l’avenir, il est évidemment conseillé de la jouer réglo dès le début. Autrement dit, remplir scrupuleusement les conditions exigées. Satisfaire d’emblée aux critères dévolus aux » aliens » ( terme usité par l’Administration thaïe pour désigner les extra-terrestres. Pardon, les étrangers ).
Les Farang long séjour et autres ressortissants des quatre coin du monde sont donc, au mieux, des convives désireux de participer à d’extraordinaires agapes entre Mékong et mer Andaman. Un festin oriental. Velouté et épicé tout à la fois. Cependant, un fait est et sera: Ils ne sont que tolérés.
Admis à rester si conformité il y a aux lois du pays. N’importe lequel de ces férus de plaisirs orientaux peut déclamer son amour du Royaume » I Love Thailand « à grand renfort de badges, macarons, tatouages, stickers, décalcomanies et T-shirts imprimés, le dernier mot revient forcément aux agents, courtois mais sourcilleux, de l’Immigration. La moindre incartade est sanctionnée sans aménité: annulation ou non extension de visa, reconduite à la frontière, expulsion, voire en cas d’infraction jugée grave, le bannissement. Parfois à vie.
La Thaïlande est une contrée magnifique.
Terre de splendeurs. Le peuple thaï est accueillant. Et dans l’ensemble bienveillant. La vie dans le Royaume est exceptionnellement agréable.
On peut aisément égréner les cent mille charmes et avantages qu’il y a à poser ses valises en ce somptueux Royaume.
Tout cela est vrai.
Mais les immigrants légaux ne sont nullement des…invités.
Certes acceptés, mais toujours sous conditions très strictes. Prière de ne pas sortir de l’encadré.
Un célèbre slogan résume, à ce propos, la pensée officielle :
» Good guys in, Bad guys out ! « .
Traduction: Les contrevenants, escrocs, gougnafiers et malotrus…Dehors!
A la condition d’être en règle, le bonheur incommensurable guette.
Quitte à régler en priorité une question existentielle.
Comment se trouver sa place harmonieusement dans la société thaïe?
Comment s’adapter au mode de vie ambiant? A chacun sa réponse mais une première exigence vaut pour tous:
Surtout, ne pas déranger. Ne pas heurter la sensibilité collective. Les mentalités sont ici souvent pudiques sinon conservatrices. Exemple, anecdotique mais signifiant:
Ne pas se promener en maillot de bain sur l’esplanade de Sanam Luang en quête de bronzette. Ne pas adopter une tenue vestimentaire dépenaillée. Synonyme d’irrespect.
Ne pas sautiller façon varan débonnaire au parc Lumpini quand retentit l’hymne national à 8H et 18H.
Dresser sa check-list à la Prévert
Faut-il commencer cette litanie de l’acculturation heureuse par un détail…primordial sous cette latitude? Arborer en toutes occasions une mine réjouie tout en demeurant respectueux. Priorité » arom dii » ( bonne humeur ) même quand on est » nuay » ( épuisé ).
Être » sanook » ( rigolo ) et ne pas refiler des maux de crâne aux copains. » Mai tong kit maak maak »… Interdit de se triturer les méninges.
Corollaire incontournable:
La » jai yen-attitude « . Garder son calme et la maîtrise de soi, ne pas hausser la voix, encore moins hurler à la cantonade, bannir les crises de nerfs, ne pas contredire son interlocuteur de façon abrupte, ne jamais infliger une perte de face.
L’amour avec une fleur de ce jardin tropical peut grandement aider à une socialisation réussie. Nourrir un irrépressible béguin pour sa teerak ( prononcer tilak) alias la chérie thaïe. Dans le respect des convenances sociales. Ne pas lui rouler ostensiblement une pelle façon french lover extraverti et plus si affinités dans les transports en commun. Métro souterrain, MRT compris. Pas plus en songthaew urbain qu’à dos de buffle à la campagne.
Se couler avec délice dans les sonorités exotiques de la langue thaïe. Échanger à foison. Déjà avec la vendeuse de » roti » ( sorte de crêpes beignets ) dans sa » soi » ( proncer soï ou soye ), sa rue habituelle. Mais se garder d’aborder en public l’éventail des sujets réputés top-sensibles. Être en toutes circonstances légaliste.
Ne jamais exfiltrer de sa conscience les devoirs et contraintes qui incombent à tout visiteur venu d’ailleurs. Jusque dans les menus détails pratiques.
Rouler à gauche, bien sûr, sans klaxonner en mode intempestif. C’est inconvenant. S’auto-coiffer du casque de rigueur si balade à moto.
Ne pas tenter d’extorquer une bière Leo entre 15 et 17 H aux vendeuses du 7 Eleven le plus proche.
Ne pas truander la bar girl après une nuit si câline.
Se passionner pour Bangkok au point de tutoyer la ville géante en l’appelant par son nom d’origine, Krungthep Maha Nakorn. S’émouvoir à contempler le fleuve Chao Phraya qui scintille au clair de lune.
Préférer Soi Cow Boy à Patpong. Éviter les tuk tuk sauf pour un selfie.
Cultiver tant d’inépuisables engouements.
Manger thai. Se restaurer en street food à tous les coins de rue, déguster son pad krapaw quotidien, s’initier au piment rouge vif comme élément thermo-régulateur.
Raffoler du Food Court de Terminal 21 Asoke.
Faire ses courses à Big C et Gourmet Market le jour, Foodland et Villa Market la nuit. Compléter ses emplettes à talat Klong Toei, le marché qui ne ferme jamais.
Envisager la fête au Sing Sing Theater. Siroter d’étranges breuvages à bulles à l’Ainu Bar de Thonglor. S’émerveiller au hasard des innombrables rooftops de la capitale. Écouter des airs de molam au Tawan Daeng de Klong Tan. Chanter en bande organisée dans un karaoke de Petchaburi. Pousser une tête dans un tripot de Huay Khwang.
En cas de baisse de régime, Tiffy et baume du tigre peuvent sauver la mise.
Ne pas forcément aller à Chatuchak le dimanche.
S’échapper plutôt à Koh Samet ou Khao Yai. Cajoler les éléphants. Humer les orchidées.
En un mot comme en mille, opter résolument pour le sabai sabai. Goûter au rythme de la » slow life « . Qui n’est pas la vie au ralenti mais la vie dégustée à petites gorgées pleines de saveur. On l’a compris, il convient de s’approprier traditions, coutumes et habitudes. Se faire apprécier des Thaïs, généralement si bons observateurs. Éviter à tout prix d’importuner l’autrui siamois en transplantant ses moeurs western doublées d’une vision exagérément cartésienne.
Autant que faire se peut, honorer la culture du pays d’acclimatation. La célébrer. Elle est séculaire, vivace, remarquablement préservée.
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S’enthousiasmer pour Songkran et Loy Krathong. Obtempérer de bonne grâce aux préconisations du bouddhisme, religion ultra-majoritaire. Se conformer au calendrier des grands événements spirituels. Aux dates hautement symboliques pour tous les sujets pétris de dévotion. Se garder de tout geste offensant pendant la halte bienfaisante au temple voisin. Acheter des guirlandes de fleurs.
Se familiariser avec la notion de karma.
Tenter avec une curiosité éveillée de se repérer dans un univers de rituels mystérieux.
Les Thaïs sont chez eux.
Seule prime la thainess.
Les étrangers sont ici au pays du sourire.
Cette évidence zygomatique saute aux yeux.
Mais en cas de manquement caractérisé aux préceptes officiels, le sourire peut virer très vite à la grimace.
En avoir la conscience éclairée peut éviter de bien fâcheuses mésaventures.
Patrick Chesneau
Un plaisir à lire La Thaïlande est une contrée magnifique.